Il
était seul parmi ses semblables. Son teint blanc et ses traits
saillants ne le distinguaient guère des autres. Comme à son habitude
depuis une éternité, il faisait la queue pour passer de l’autre coté,
en suivant la hiérarchie imposée par le temps. Pour
s’encourager, il ressassait sa devise dans une litanie inaltérable :
les derniers seront les premiers…
Les
autres, il les connaissait
bien, ils évoluaient ensemble depuis toujours, il les croisait dans ce
flux. Certains avançaient plus lentement que lui, d’autres plus
rapidement, mais tous allaient dans le même sens et au même endroit.
Il appréhendait ce moment où le
sol se déroberait sous ses pieds, et l’emporterait plus bas. Il
connaissait
le chemin par cœur, d’abord ce trou dans lequel tous s’agglutineraient,
puis l’étranglement juste avant le tunnel, à l’origine de la
bousculade, et enfin la chute !Il savait qu’en étant premier à
l’entrée du tunnel à l’aller, il y serait dernier au retour, c’était la
loi à laquelle nul ne pouvait déroger.
Soudain,
le trou se creusa,
tout alors s’accéléra, il fut traîné, roulé, écrasé par ses semblables,
il se laissa aller, lui seul l’avait compris, à quoi bon résister, il
fallait coûte que coûte traverser ce tunnel pour être enfin libre
pendant quelques instants, pouvoir se reposer sur les autres… L’autre
côté, il en rêvait à chaque passage, comme si le bonheur était
inaccessible et changeait indéfiniment de côté, et lui ne se trouvant
toujours à l’opposé. Il se battait pour ce bonheur, depuis la nuit des
temps et se battra une éternité encore, jusqu’à ce qu’il l’atteigne
enfin…
Sur
les bords, il voyait les autres s’accrocher, tenter vainement de
résister, pour ensuite céder
sous leur propre poids.
Il arriva péniblement à
l’entrée étroite du tunnel, il n’y avait de place que pour cinq ou six,
à peine fut-il entré qu’il voyait déjà le bout du tunnel, son parcours
s’acheva par une chute interminable, il alla s’écraser plus bas, puis
tout redevint calme…
Il
allait enfin pouvoir toucher
le bonheur, s’y frotter, s’exalter dans la plénitude.
Il
vit alors une main retourner le sablier, tout était à recommencer.
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